"D.O.A."(Rudolph Maté)

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D.O.A. (Mort à l'arrivée-1950)
Mise en scène: RudolphMaté
Musique: Dimitri Tiomkin
Photographie: Ernest Lazlo
              Pamela Britton
              Luther Adler
Un homme avance dans les couloirs du commissariat de Los Angeles, jusqu'au bureau des homicides. La musique de Dimitri Tomkin nous communique son sentiment d'angoisse et le rythme de son pas ferme et décidée. Le leitmotiv du film donne, dès la première séquence, le signal que le dialogue confirme:
-Je viens déclarer un assassinat
-Asseyez-vous. Où a-t-il été commis?
-A San Francisco, hier nuit
-Qui a-t-on assassiné?
-Moi… Voulez-vous ou non m'écouter? il ne me reste pas beaucoup de temps.
Et commence le flash back de celui qui va mourir.
Après avoir vu sunset Boulevard (1950) de Billy Wilder, un fil conducteur est facile à établir avec D.O.A. (Mort à l'arrivée -1950) de Rudolph Maté.  Dans l'histoire du Film noir, Sunset boulevard et  D.O.A.  sont marquants pour la voix off de celui qui vient de mourir dans le premier (Joe Gillis/William Holden) et de celui qui sait qu'il va mourir (Frank Bigelow/Edmond O'Brien) dans D.O.A.
On peut aussi noter d'autres relations entre les deux films: les deux acteurs William Holden et Nancy Olson qui jouent dans Sunset Boulevard, venaient de terminer  Union Station (Midi, gare centrale)  avec Rudolph Maté tourné la même année que D.O.A.
Remakes
Il y a mieux: D.O.A. serait inspiré de Der Mann, der seinen Mörder sucht ((L’homme qui recherchait son propre meurtrier  -Robert Siodmak-1931),  dont l'un des scénaristes n'est autre que… Billy Wilder. Ernst Neurbach qui participa aussi au scénario de ce film, tiré d'une de ses pièces de théâtre,  "Jim, der Mann mit der Narbe", le reprendra dans On demande un assassin en 1949 avec Fernandel puis en fera un remake en 1952: Man lebt nur einmal (L'homme qui ne vit qu'une fois-). Un autre remake de ce dernier film sera la comédie Alles im Eimer (Ralf Gregan-1981). Enfin, Aki Kaurismaki s'empare du sujet et tourne I hires a contract killer (J'ai engagé un tueur -1990) dans lequel Jean-Pierre Léaud, qui ne parvient pas à se suicider, contacte un tueur pour effectuer le contraCette liste impressionnante de remakes depuis 1931 témoigne de la source d'inspiration  qu'a été le scénario en Allemagne, en France et aux Etats-Unis et je crois même en Australie.  Le thème de l'individu qui essaie d'échapper à un destin peut effectivement être traité comme une comédie ou comme le plus fort des suspenses.
La transgression
Un thème essentiel du film noir est de suivre les tribulations du protagoniste qui, à partir d'une transgression qui semble mineure dans son parcours, se retrouve plongé dans des situations aux conséquences dangereuses pour lui ou ceux qui l'entourent. Nous le verrons dans Détour, Kiss me deadly, Pick-up on South Street, Double Indemnity, Gun Crazy, The Lady from Shanghai  et tant d'autres… 
Mais la proposition de D.O.A. ajoute un élément de suspense et d'angoisse qui fait toute la force du film et permet au spectateur de vivre un moment tout à fait excitant: voilà donc un personnage, Frank Bigelow,  qui nous raconte comment il a vécu son dernier cauchemar: savoir qu'il va mourir sans savoir pourquoi. Le personnage de Frank est interprété magistralement par Edmond O'Brien. Lui qui a tenu tant de rôles secondaires, même s'il fut récompensé par l'Oscar,  porte ici tout le poids du film et utilise l'éventail complet des émotions que la situation exige.
Frank Bigelow tient un cabinet de notaire dans une petite ville de Californie. Il est aidé par une secrétaire,…

… Paula (Pamela Britton) qui rêve de devenir sa femme. Frank a besoin de réfléchir sur le sujet et décide de prendre une semaine de congé à San Francisco. Peut-être qu'inconsciemment a-t-il  décidé d'enterrer sa vie de vieux garçon… Il descend dans un hôtel où a lieu un congrès dans une ambiance gaie et bien arrosée.
Paula au téléphone: Frank, sache que rien dans ta conduite ne doit te rendre coupable…

…ce qui augmente son sentiment de culpabilité puisqu'au même moment il reluque une congressiste appuyée au chambranle de la porte de sa chambre.
Paula lui a bien parlé d'un certain Phillips, d'un bureau d'import-export, d'un contrat… Mais les congressistes entrainent  ce bonasse de frank  au Fisherman, un club de jazz typique de la sous-culture Beat…

…femmes et hommes électrisés par le groupe de jazz,

…le machisme à fleur de peau chez certains, nous sommes plongés dans un reportage d'un puissant réalisme. Si la séquence dans un bar est le point de passage obligatoire dans un bon film noir, dans D.0.A. nous pouvons apprécier un excellent groupe de jazz –la scène a été enregistrée dans un studio de Los Angeles et retravaillée ensuite en play-back.

Frank se rend au bar et se risque à un flirt au bar du club avec Suzy –ou peut-être bien s'appelle-t-elle Lucy, je ne sais pas trop…

…Il l'invite à prendre un verre. Et voilà la transgression!
Savoir que l'on va mourir
A partir de cette invitation,…


… la permutation des verres de whisky par  l'inconnu au bar,

…le retour seul à l'hôtel… au matin, Frank ne se sent pas bien du tout:

-Garçon, remportez la boisson, … je ne peux ni regarder  le plateau… j'ai besoin d'air frais…

Visite au premier médecin: votre corps a absorbé assez de toxines pour que l'on puisse espérer une réversibilité… il ne vous reste pas beaucoup de temps à vivre…

… au second médecin: je crois que vous ne comprenez pas, monsieur Bigelow, on vous a assassiné…

Frank court, la musique reprend le thème de la première séquence,

…le piano remplace les violons, l'angoisse le tenaille, la force du destin, la marche inexorable vers la mort, l'autocompassion,  le piano…Magnifique séquence tournée sans permis dans Market street et d'autres rues de San Francisco:

…les passants bouche bée de voir Edmond O'Brien dans cet état d'excitation, de panique, bousculant les uns et les autres… Une scène qui nous rappelle celle tournée aux mêmes endroits et dans les mêmes conditions par Valentina Cortese dans The house in Telegraphic Hill traitée dans ce dossier.

Le soleil brille,...

…la petite fille joue avec une balle,

…les amoureux se retrouvent sur l'air d'une valse de Strauss…  la vie est belle!`
"On vous a assassiné" la phrase résonne dans sa tête. Il reprend des forces, marche d'un pas ferme jusqu'au Fisherman:

 …savoir qui m'a assassiné, cela n'est pas inéluctable! La musique reprend le thème de la marche. Frank est décidé: chercher, retrouver et laisser éclater sa rage. Pourquoi lui? Qui lui en veut?


Paula au téléphone, dans son rôle de secrétaire: tu pourrais: au moins me  faire croire que je te manque… à propos, Phillips est mort hier nuit…ses bureaux…Bradbury Building… Los Angeles…
C'est le choc pour Frank mais aussi une piste.
De san francisco a Los Angeles  
La nuit envahit l'écran, le Bradbury Building et le Million Dollar Hotel, qui fait l'angle avec Broadway. C'est dans le Bradbury Building que Frank devra résoudre l'énigme, l'immeuble même où Ridley Scott tournera plus tard Blade Runner.

Avant d'être metteur en scène, Rudolph Maté a été l'un des plus grands  directeurs de la photographie de l'histoire du cinéma  (voir l'intéressant lien suivant Jean Charpentier et ses références à Dreyer puis au Gilda de Charles Vidor). A Hollywood, en effet, Maté suit la carrière de Rita Hayworth mais travaille avec les plus grands metteurs en scène Hitchcock, Welles… Il passe à la mise en scène à son tour en se spécialisant dans le Film Noir de petit budget.

Dans D.O.A. l'illumination contrastée des extérieurs et l'atmosphère particulière  du Bradbury Building qu'obtient  le directeur de photographie Ernest Lazlo nous fait sentir la présence et les conseils de Rudolph Maté qui tient la caméra.

Les heures sont comptées
L'obscurité se fait plus épaisse, Frank se sent de plus en plus asphyxié dans sa poursuite …qui passe de bureaux sordides …en usines désaffectées.

Sa recherche à Los Angeles le met en contact avec des personnages louches et manipulateurs. A la panique due à la boisson empoisonnée par une main inconnue, voilà que viennent s'ajouter une foule d'informations inextricables que ce soit de la part de…

…la veuve de Phillips, de son amant,

…de la maitresse de Phillips Maria Rakubian (Laurette Luez)

…ou du  sinistre Majak (Luther Adler) impliqué dans l'achat d'un métal rare, ou son acolyte sadique Chester (Neville Brand dans un rôle mémorable)…
Nous sommes au cœur du plus pur Film Noir, Frank Bigelow vit ce qu'a vécu O'Hara (Orson Welles) dans The lady from Shanghai ou ce que vivra cinq ans plus tard Mike Hammer (Ralph Meeker) dans Kiss me deadly mais à un degré rendu encore plus fort par l'inexorable écoulement des heures qui lui restent à vivre, la rage de ne pas pouvoir comprendre ce qu'a à voir l'enregistrement d'un contrat avec son empoisonnement, la soif de justice et de vengeance.
"tout ce que j'ai fait c'est établir un acte de vente notarié" dit Bigelow avant de tomber mort. Que mettons-nous dans le procès verbal, chef?,  demande un policier. Mettez "Mort à l'arrivée": Dead On Arrival. Un tampon d'encre noire  marque les lettres D.O.A. sur l'archive de Frank Bigelow.